Histoire d'une noyade en Gaspésie

Récits | par Franskaya

Le blogue à Franskaya
Résumé de l'article

Cet article du blogue à Franskaya raconte l'histoire dramatique d'une noyade survenue lors d'une aventure en paddle en Gaspésie. On pourrait qualifier le récit d'à la fois détaillé et immersif, décrivant les événements qui ont mené à cette situation dangereuse et les leçons apprises en matière de sécurité en rivière.

Voici quelques points saillants du récit :

  • L'histoire se déroule lors des mes vacances en Gaspésie, où je rejoins des amis pour une descente de la rivière Grand-Cascapédia.
  • Malgré des préparations minutieuses, un incident survient rapidement après le début de notre aventure, mettant en évidence l'importance de la sécurité et de l'équipement adéquat.
  • Comme auteur, il était important pour moi de décrire en détail la lutte contre les éléments et les efforts déployés pour tenter de sauver un des membres du groupe.
  • L'histoire se termine par un rappel de l'importance de porter une veste de flottaison et de ne jamais sous-estimer les dangers potentiels des activités en rivière.

Pour cette histoire, j'ai tenté de faire en sorte que le style d'écriture soit captivant et d'enrichir le récit de descriptions visuelles et émotionnelles, afin de rendre la lecture engageante et d'y ajouter une dimension éducative, sans être moralisatrice. J'avoue avoir un faible pour Stephen King et pour Patrick Sénécal, et leur influence se fait sans doute sentir en filigrane.

Certains critiques notent « qu'il s'agit d'un excellent exemple de partage d'expérience personnelle avec des leçons de vie importantes. »


Une aventure en paddle qu'on n'oubliera pas!

Les sports nautiques peuvent être exaltants mais ne sont pas sans danger.

Permettez-moi de vous raconter l'histoire d'une noyade qui s'est déroulée lors de mes vacances en Gaspésie cet été.

Ce récit se situe en dehors de la thématique principale de ce blogue, qui traite normalement de musique. Mais comme cela peut être utile à n'importe qui, je vous offre à la fin quelques leçons tirée de cette expérience dramatique.

Ce n'est pas que je sois pressé de faire connaissance avec la mort, mais j'avoue que ce n'est pas la première fois qu'elle me taquine. J'ai eu la frousse plus d'une fois depuis ma naissance ! Mais cette fois-ci m'a particulièrement marqué.

L'endroit le plus confortable au monde pour un compositeur de musique est sa chaise Hermann Miller, derrière son clavier Roland de 88 notes. Mais une planche à pagaie, au grand soleil, avec trois amies géniales sur une rivière de Gaspésie, c'est pas mal non plus !

Photographie du clavier de Franskaya et de sa chaise Hermann Miller
Photographie du clavier de Franskaya et de sa chaise Hermann Miller

Je suis en vacances. Isy, une amie de longue date m'a invité à son micro chalet dans la région de New Richmond en Gaspésie (province de Québec au Canada). J'ai accepté avec grand plaisir, car nous n'avons pas l'occasion de nous voir souvent et notre dernier cheers d'IPA remonte bien à deux mois. Isy a aussi invité son amoureuse Joe, et son amie Mimi d'Ottawa.

La météo a été moche presque toute la semaine. Ainsi, lorsque le soleil pointe le bout de son nez entre deux nuages ce jour-là, c'est la fête. Trois d'entre nous décident d'aller faire la descente de la rivière Grand-Cascapédia. Isy, elle, souffre d'un mal de dos qui l'empêche de se joindre à nous.

Nous sommes le jeudi 10 août 2023. Il a beaucoup plu ces derniers jours en Gaspésie. Une bâche de fortune installée au-dessus de ma tente m'a préservé de l'humidité. Mais la rivière où nous nous promettons de nous aventurer a gonflé, comme au printemps, et le courant est fort.

Sur la berge avant de partir, Isy nous prends en photo.

Image générée par IA de trois kayakistes près de la berge d'une rivière
Image générée par IA de trois kayakistes près de la berge d'une rivière. Comme à mon habitude, je trafique les photos à l'IA, qui n'en fait toujours qu'à sa tête même si je lui demande 2 paddle boards et un kayak!

Deux d'entre nous portent une veste de flottaison individuelle (VFI). Mimi arrime la sienne aux cordages de son paddle.

Ici, le compositeur de musique que je suis ne peut s'empêcher d'imaginer l'ajout d'une trame qui contribuera au suspense. Induxatur fera l'affaire je pense, le bruit blanc qu'on y entend évoquera le bruit de la rivière:

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On s'élance. Un kayak. Deux paddles. Je suis sur l'un d'eux, Mimi sur l'autre.

Le débit de la rivière est fort, je l'ai dit. Mimi s'exclamera d'ailleurs un peu plus tard: « Regardez passer les roches de la berge, elles vont vite, c'est impressionnant! »

Coup du sort, 30 secondes après le départ, je me rends compte que j'ai oublié ma laisse extensible sur la berge. Ce qui veut dire que je ne suis pas attaché à mon paddle. Si je tombe à l'eau, il pourrait s'enfuir dans le courant sans possibilité de le rattraper. Mauvaise idée. Je crie à Joe qui vire de bord aussitôt avec son kayak. Elle réussira à remonter le courant au fruit d'un effort soutenu jusqu'à notre point de départ, où nous attend encore Isy qui nous a entendu crier malgré le chuintement des flots.

Laisse extensible de planche à pagaie
Voici de quoi a l'air une laisse extensible pour planche à pagaie

Pendant que Joe lutte contre la rivière, Mimi et moi trouvons refuge à quelques mètres de là au milieu de 4 long canoës amarrés sur l'eau.

C'est une belle journée d'été. Le soleil nous réchauffe. Assis sur nos paddles, Mimi et moi n'avons pas trop de mal à garder notre équilibre au milieu des canoës bercés par la rivière. Mimi a l'air d'une ado dans une peau de cinquantenaire. Moi aussi, j'ai un sourire d'écolier gravé sur le visage.

Bordée par la végétation sur toute sa longueur, on qualifierait certainement la Grand Cascapedia de fleuve dans d’autres pays, du fait de sa largeur et de son débit.

AI generated image of a kayakist on a river
Image générée par IA d'un kayakiste en rivière

Tout à coup, un gros véhicule de type « Suburban » apparaît sur le terrain du chalet. Je pense à ces films d'horreur ou ces romans de Stephen King où le méchant pointe le bout de son nez dans l’histoire. Le camion fait demi-tour puis recule assez rapidement avant de s'arrêter. Trois hommes en sortent. Ils n'ont pas l'air commode. Des pêcheurs peut-être. Nous les saluons, et leur expliquons ce que nous faisons là, au milieu de leur canoës, mais ils n'en ont cure et s'affairent bientôt à reculer la remorque dans l'eau. L'un des hommes monte dans l'un des canoës, démarre son moteur, et attèle bientôt l'embarcation sur la remorque. Et les voilà repartis sans nous avoir vraiment adressé la parole.

Joe revient avec ma laisse extensible. Je l'attache à ma cheville, et nous voilà enfin repartis.

La descente de la rivière se déroule tout en douceur. L'eau scintille. Le courant nous entraîne agréablement. On peut se laisser descendre au fil de l'eau sans trop pagayer.

Je reste vigilant, car l'aileron du paddle peut s'accrocher sans avertir dans une roche ou un tronc d'arbre qui serait invisible tout en étant près de la surface. Heureusement, le niveau d'eau est haut. On ne voit pas d'obstacles. Ou peu. Je me souviens d'un endroit où l'eau était moins profonde, mais ce fut facile à contourner.

L'occasion est belle, alors je sors mon téléphone de la sacoche de ceinture pour prendre quelques photographies.

Et voilà que la rivière se sépare en deux, à hauteur de Cascapedia-Saint-Jules, de chaque côté de l'île du Cheval.

Screenshot of Ile-du-Cheval in Saint-Jules (Gaspesie) in Apple Maps
Capture d'écran de l'emplacement de l'Ile-du-Cheval à Cascapedia-Saint-Jules en Gaspésie dans l'app Plans d'Apple

Mes deux amies ont déjà choisi d'emprunter l'embranchement droit. Mais je suis derrière, en retrait, occupé à ranger mon cellulaire dans le sac, ayant pris de ce fait un peu de retard sur elles.

Je pagaye pour les rattraper, et tout en me démenant, j'aperçois au loin ce qui me semble être des roches. Je crie à Joe et à Mimi qui confirment que le bras de rivière semble encombré de roches à une certaine distance. Un niveau d'eau trop bas peut être problématique pour nos paddles à cause de l'aileron arrière.

Mimi me demande alors: « Est-ce qu'on essaie à gauche à la place? »

Et moi de répondre: « Ok! Go! »

Erreur. Nous sommes déjà trop engagés dans le bras de droite. Le courant est fort. On rame et rame, Mimi et moi, mais le courant nous entraîne vers un cimetière d'arbres morts, entassés à l'intersection des deux bras de rivière, sur l'île du cheval.

C'est alors que mon paddle entre en collision avec un gros arbre. L'eau glisse sur le tronc par à-coups, un ressac qui le submerge partiellement. Je chavire presque. Je réussi à rétablir l'équilibre de justesse, par je ne sais quel miraculeux réflexe. Et là, sans réfléchir, mon corps décide de la seule option de survie disponible. Quitter le paddle et sauter sur l'arbre.

Faire confiance à son corps est une chose que la pratique assidue du vélo de montagne m'a apprise cette année.

L'esprit est lent. Le corps sait quoi faire.

Je suis debout sur l'arbre. L'équilibre est précaire. Le paddle fonce dans mes tibias, recule et recommence.

Je vois Mimi qui a moins de chance que moi. Comme moi, son paddle est entré en collision avec l'arbre. Mais elle chavire. Une expression de surprise inonde son visage. Elle tombe à l'eau.

D'un bras, elle s'accroche à l'arbre comme elle peut, et je lis la panique sur son visage. Sa bouche est ouverte, ses yeux sont terrorisés. L'eau la plaque contre l'arbre. Le bruit de la rivière est assourdissant.

Je lui dis: « Calme-toi. Pas de panique. »

Mais il est déjà trop tard. L'arbre est poisseux, glissant. Elle perd prise et le courant l'entraîne sous l'arbre.

La tête de Mimi apparaît de l'autre côté de l'arbre. L'espace d'un moment, elle semble sourire. Mais bientôt, son sourire s'efface. Elle réussit à se maintenir hors de l'eau pendant quelques secondes, mais bientôt, reliée qu'elle est par sa laisse au paddle bloqué dans l'arbre, elle s'engloutit sous les flots.

AI generated image of a woman drowning underwater with a black background
Image générée par IA d'une femme en train de se noyer sous l'eau.

Pendant ce temps, Joe remonte le courant sur son kayak pour se rapprocher de nous. Au passage, elle récupère la rame de Mimi que le courant avait emporté dans sa direction.

Toujours en équilibre sur le tronc d'arbre, le paddle continue de me pousser dans les tibias par à-coups, menaçant de me faire tomber. Mais l'abîme entre l'arbre et le tas de branches est une promesse de mort. La rivière rugit. Mon espoir défaille. Je suis étrangement calme malgré l'urgence du moment. C'est horrible ce qui est en train de se produire. Tout va si vite. Il y a un moment, on était encore dans le bonheur. Une seule idée habite mon esprit: libérer les paddles. Il faut les pousser de là. Ça presse!

Une branche haute m'empêche d'accéder au paddle de Mimi.

Joe me crie, inquiète mais calme : « Ou est Mimi? »

Je lui pointe l'endroit où elle a disparu et je crie à mon tour, désespéré: « Je ne sais pas, là! »

Tout se passe très vite. Je me dépêche d'extensionner ma laisse pour la passer au-dessus de la branche afin que mon paddle passe de l'autre côté et se retrouve avec celui de Mimi.

J'avance et descends sur l'arbre qui plonge sous les flots. J'ai maintenant les pieds dans l'eau jusqu'au milieu des mollets. Je veux pousser les deux paddles pour les sortir de leur impasse. Et au même moment j'entends un « plouf&nbps;»! Du coin de l'oeil, je devine que Joe s'est jetée à l'eau! Je descend encore un peu plus sur le tronc glissant. Puis, tout en poussant sur le paddle de Mimi, je perds pied et tombe à l'eau à mon tour.

L'espace d'un instant, immergé sous l'eau vive, je panique à l'idée que mon paddle reste coincé comme celui de Mimi. "C'est pas sur le mien que j'ai poussé!" - est l'idée au centre de ma courte panique.

Mais non, je refais surface. Je remonte sur le paddle plus vite que dans un concours, et je vois Joe qui enlace Mimi. Les yeux de Mimi sont révulsés! Elle s'est noyée! Pourtant, ça s'est passé si vite! 90 secondes sous l'eau tout au plus, me semble-t-il. Ses yeux sont blancs!

Mimi vous dira qu'elle s'est battue contre les flots avec l'énergie du désespoir et que ces 90 secondes lui ont paru une éternité et l'ont vidé d'énergie.

Quel soulagement de voir que le paddle de Mimi a été libéré de son entrave dans la manoeuvre!

Je m'empresse de récupérer le kayak à la dérive. Le paddle de Mimi étant toujours relié à son pied, je n'ai pas à m'en soucier pour le moment.

Joe tourne Mimi vers elle, lui insuffle de l'air comme elle peut, et voilà que Mimi se met à respirer bruyamment, revenant à la vie!

Le reste est une histoire de secourisme qui s'est bien déroulé. On a trouvé une petite pente où on pouvait la remonter sur la berge. Heureusement, ce n'était ni trop haut ni trop pentu. Joe avait une couverture métallique dans son bardas de kayak. On enveloppe et on réchauffe Mimi qui tremblait comme une feuille. Joe est partie avec le kayak chercher des secours. Pendant ce temps, je continuais à garder Mimi au chaud avec mon corps et j'ai réussi à appeler des secours avec mon cellulaire (911 satellite) après plusieurs essais. Une dizaine de minutes plus tard, les sirènes des secours se firent entendre. Policiers et ambulanciers se sont stationnés sur le terrain d'une propriété en bordure de la rivière, à environ 500 mètres de l'endroit où Mimi et moi attendions.

J'ai pu observer du mouvement sur la berge de cette résidence. J'ai utilisé mon sifflet pour attirer leur attention. Ils ont ainsi pu nous repérer au loin.

Ce sont les trois hommes que nous avions croisés au début du parcours qui sont venus nous chercher avec le dernier des canoës qu'ils étaient affairés à sortir de l'eau pour les emmener ailleurs. Merci à ces trois braves en gentils sauveteurs, et merci aux services d'urgence qui ont si vite répondu à l'appel.

Surtout, je salue le courage et le sang-froid de Joe qui est sautée de son kayak pour secourir Mimi. Heureusement, elle avait suivi un cours de secouriste dans le passé. Joe s'est comportée en véritable héros. Elle mérite une médaille.

J'ai rarement été aussi soulagé ! J'éprouve une telle gratitude envers la Providence que Mimi soit en vie! Et que Joe soit elle aussi saine et sauve.

On ne le dira jamais assez: pour qu'une veste de flottaison puisse avoir une chance de vous sauver la vie, il faut la porter!

J'ai perdu un soulier d'eau et mes deux bouteilles d'eau dans l'aventure. Des pertes mineures. J'attache toujours mes lunettes avec un bandeau élastique. Mimi n'en avait pas. Elle a perdu ses lunettes ajustées.

J'arrimerai mieux mes effets personnels la prochaine fois que j'irai en rivière. S'il y a du courant, je mettrai un casque. Je mets toujours mes gants de cycliste pour ne pas me faire d'ampoules avec la rame. J'étais content de les avoir. Je me suis éraflé un doigt pendant mon numéro d'équilibriste. Probablement sur la grosse branche. Sans mes gants, je me serais peut-être blessé davantage.

Mais la morale de cette histoire est simple: si vous partez en paddle sur une rivière, mettez votre veste de flottaison individuelle. Et ne partez pas tant que tous vos compagnons ne l'ont pas enfilée eux aussi. En fait, ne partez pas sans compagnon. On est plus à risque lorsqu'on est seul.


Portrait of Franskaya, music producer and composer from Quebec, Canada

Franskaya

Blogueur, auteur, artiste, Franskaya est aussi auteur-compositeur, technicien de son et producteur de musique de Québec au Canada. Ne manquez pas le prochain article en le suivant sur sa page Facebook, ou cliquez ici pour en savoir plus au sujet de l'auteur de cet article..


Image de la pochette du single de musique Induxatur par Franskaya

Induxatur

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